L’information ne pouvait passer longtemps inaperçue tant ses implications sur les plans scientifique, éthique et politique sont considérables à l’approche de la révision des lois de bioéthique par le Parlement. Dans un article intitulé « Une alternative aux cellules souches embryonnaires », le journal Les Echos révèle que la société françaiseCellectis (photo) vient d’obtenir une licence exclusive pour l’exploitation de la découverte des cellules souches pluripotentes induites par le professeur Shinya Yamanaka [1].
C’est avec ce chercheur japonais désormais mondialement célèbre que la recherche sur les cellules souches a fait
un bond de géant en 2006 au point que la prestigieuse revue américaine Science a placé l’année suivante sa découverte au deuxième rang des innovations majeures de la biologie
contemporaine.
iPS : une avancée scientifique et politique
majeure
Jusqu’à cette date, l’ensemble de la communauté scientifique pensait que seules les cellules issues de la
destruction d’un embryon humain vivant étaient pluripotentes, c’est-à-dire capables de s’auto-renouveler indéfiniment et d’engendrer après différenciation toutes les cellules
spécialisées d’un organisme adulte (cœur, foie, cerveau,…). La « source » controversée de ces cellules a par ailleurs entraîné dans l’ensemble des pays industrialisés des débats éthiques
interminables sur la possible utilisation des embryons surnuméraires créés par fécondation in vitro, grevant les développements d’une médecine régénératrice de qualité et nuisant à l’image
des chercheurs travaillant dans ce domaine.
C’est dans ce contexte que Yamanaka et ses collaborateurs de l’université de Kyoto montrent qu’il est possible
de reprogrammer une banale cellule adulte de peau humaine afin de lui faire retrouver les caractéristiques d’une cellule souche pluripotente, singulièrement celle de pouvoir générer tous les
types cellulaires [2]. La recette pour induire la pluripotence est en outre relativement simple et à la portée de n’importe quel laboratoire standard, puisqu’elle consiste à insérer dans le
génome des cellules cibles via des séquences virales un cocktail de 4 gènes codant pour des facteurs de transcription « qui jouent le rôle d’élixirs de jouvence [3] ». Les cellules obtenues sont
à présent bien connues sous le nom de cellules souches pluripotentes induites ou iPS (induced pluripotente stem cell).
La découverte du professeur japonais – faire remonter la chaîne de différenciation d’une cellule hautement
spécialisée pour redevenir une cellule souche – a été saluée à travers le monde comme une révolution biologique. Mais aussi comme un tournant éthique et politique majeur. Les
scientifiques n’ignorent pas que la recherche sur l’embryon est extrêmement controversée et susceptible d’être critiquée par une partie de l’opinion publique, comme le montrent les péripéties judiciaires récentes aux États-Unis ou la
polémique française de 2007 sur le Téléthon. En s’affranchissant de l’embryon et des tensions éthiques qu’il suscite, de nombreux chercheurs ont le sentiment de réconcilier science et morale et
d’avoir les coudées franches pour avancer. La revue Science ne s’y trompe pas fin 2007 en faisant de la découverte de Yamanaka une avancée non seulement technique mais
également politique.
Après avoir pris connaissance des résultats de leur collègue, deux chercheurs emblématiques vont d’ailleurs
opérer un virage spectaculaire et entraîner une partie des spécialistes de la biologie cellulaire à leur suite. Tout juste ennobli par la reine d’Angleterre, le professeur Ian Wilmut, « père »
scientifique du premier mammifère cloné, la brebis Dolly, décide fin d’abandonner ses
travaux sur le clonage d’embryons, estimant que la voie ouverte par Yamanaka ouvre une « nouvelle ère » pour la biologie [4].
Le second scientifique de renommée internationale à lui emboîter le pas n’est autre que le professeur James
Watson de l’Université du Wisconsin de Madison qui établit en 1998 les premières lignées de cellules souches embryonnaires humaines (ES). Alors que le président Barack Obama croit bien faire en
abrogeant quelques semaines après son l’élection l’interdiction du financement fédéral de la recherche sur les cellules ES, Watson annonce au même moment dans la revue Science
être parvenu à sécuriser la technique de reprogrammation des iPS en se passant du vecteur viral initial.
Depuis qu’il a décrit avec son équipe le mécanisme de la reprogrammation cellulaire, le professeur Yamanaka a
créé en janvier 2010 avec le soutien massif des autorités nippones un Centre de recherche et d’application des iPS (CiRA, Center for iPS Cells Research and Application) tandis qu’une des filiales
de l’Université de Kyoto, l’iPSAcademia Japan, gère et utilise les brevets et autres propriétés intellectuelles afférents à la technologie iPS depuis 2008.
La recherche sur l’embryon illégale
?
Ce sont justement avec ces deux organismes que la firme française Cellectis a signé fin octobre un accord
stratégique qui lui donne accès à l’ensemble du portefeuille de brevets sur les cellules souches pluripotentes induites. À court terme, soit deux à trois ans, les Français estiment être en mesure
de produire des lignées d’iPS de façon industrielle et constituer progressivement des banques de cellules souches induites issues de patients porteurs de différentes
pathologies.
L’intérêt de cette démarche est considérable pour mettre en œuvre des tests de molécules in vitro
indispensables à l’industrie pharmaceutique qui cherche de nouveaux médicaments. Elle rend en outre parfaitement illégale l’expérimentation sur des embryons malades rejetés par diagnostic
préimplantatoire dont le professeur Marc Peschanski est la figure de proue en France. En effet, pour qu’une autorisation de recherche sur l’embryon humain soit légale, il faut qu’elle « ne puisse
pas être poursuivie par une méthode alternative d’efficacité comparable ». À cet égard, l’Agence de la biomédecine attaquée devant la justice par la Fondation Jérôme Lejeune peut se
faire du souci : les derniers protocoles de recherche validés par son Conseil d’orientation l’ont été au mépris de la loi, nul ne pouvant ignorer les progrès enregistrés par les scientifiques en
matière d’iPS.
Le caractère innovant de la collaboration entre Cellectis et les Japonais se situe également à un autre niveau.
La société française est en effet leader mondial dans l’ingénierie des génomes. Qu’est-ce que cela signifie ? Sylvie Delassus, directrice de la communication que nous avons contactée le 26
novembre, nous a expliqué que leurs équipes étaient entre autres spécialisées dans la conception et la mise au point d’enzymes bien particulières : les méganucléases.
Ces ciseaux moléculaires permettent d’intervenir de façon maîtrisée sur l’ADN de manière à insérer des gènes à
des endroits très précis. Le partenariat qui vient de se nouer est donc très prometteur : en choisissant et en optimisant le lieu où sont introduits les « gènes reprogrammateurs », on évite la
prolifération cancéreuse des cellules, un problème qui touche l’ensemble des cellules souches pluripotentes, d’origine embryonnaire ou non. L’objectif est bien sûr de parvenir à créer des lignées
iPS stables qui serviront ensuite à fabriquer des cellules différentiées pour réparer un tissu malade ou un organe défaillant (cellules pancréatiques sécrétant l’insuline, cellules cardiaques
après un infarctus,…).
Dans son dernier communiqué de
presse, Cellectis insiste sur le fait que « les iPS ne se heurtent à aucun des questions éthiques liées aux cellules embryonnaires ». Un argument marketing de circonstance ? Interrogée sur ce
point, Sylvie Delassus nous a répondu que la notion de « label éthique » motivait profondément l’engagement des personnes travaillant dans leurs locaux. Une espèce de charte éthique serait même à
l’étude. Autant de faits qui donnent un peu du baume au cœur à tous ceux qui souhaitent voir s’implanter en France une recherche en thérapie cellulaire performante qui ne sacrifie pas
l’éthique.
Éclairer le législateur par une information de qualité est une exigence
éthique
On mesure cependant le décalage qui persiste entre les avancées scientifiques sur le front des cellules souches
et les déclarations de nos responsables politiques. En visite à l’unité de thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire de l’hôpital européen Georges-Pompidou le 25 novembre dernier, le
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, a affirmé aux chercheurs présents
qu’on était «obligé de continuer la recherche sur les cellules souches
embryonnaires ». Si Mme Pécresse est considérée par de nombreux observateurs de la vie politique française comme un excellent ministre, force est ici de reconnaître que ses collaborateurs
n’ont pas été capables de lui fournir un dossier complet sur le sujet. Il n’est pas trop tard pour y remédier.
Tout ceci pose la question de l’influence de l’information scientifique sur les choix politiques. Dans
son
avis préparatoire à la révision de la loi de
bioéthique, le Comité consultatif national d’éthique avait rappelé qu’ « une information plurielle et critique sur les questions scientifiques [est] au cœur de la révision de la loi de
bioéthique » et que « la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux ». La nouvelle commission spéciale parlementaire chargée d’examiner le projet
de loi relatif à la bioéthique devra veiller particulièrement sur ce point.
Pierre Arduin Liberté Politique
[1] Catherine Ducruet, « Une alternative aux cellules souches embryonnaires », Les Echos, 25 novembre
2010.
[2] S. Yamanaka, K. Takahashi and al., “Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors”, Cell, 2007, 131: 861-872.
[3] Pierre Kaldy, « Des cellules souches produites sans embryon », Le Figaro, 4 avril 2009.
[4] Yves Miserey, « La transmutation de cellules adultes en cellules souches », Le Figaro, 31 décembre 2007.