Jeudi 10 février 2011 4 10 /02 /Fév /2011 12:00

C’est un biologiste qui avait dit avec force : « La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes ». Cette phrase de Jean Rostand illustre l’inévitable confrontation entre la biologie et l’éthique et le caractère indispensable des rendez-vous qui permettent aux législateurs de rappeler la norme pour éviter les dérives morales liées aux innovations scientifiques. Il n’est pas sûr que le nombre croissant, des autorités, des agences, des comités et des conseils puissent de façon cohérente et responsable remplacer le Parlement dans ce rôle essentiel. On a vu que les 23 agences sanitaires rendaient les questions plus opaques, et les décisions plus contradictoires.


Le progrès scientifique est une évidence.  Il correspond à la possibilité intellectuelle que possède la science et à la capacité matérielle qu’atteint la technique d’imaginer et de réaliser ce qui était impensable et impossible auparavant. Certains esprits faibles considèrent que le progrès existe d’une manière nécessaire dans tous les domaines et que seuls des esprits attardés prétendent s’y opposer. D’autres, plus faibles encore, s’opposent à certains progrès de la technique mais sont prêts à soutenir toutes les évolutions morales même les plus absurdes, en défendant la nature contre l’homme sans défendre l’homme contre lui-même.

 

En fait, le progrès moral n’est pas quant à lui une évidence. On peut considérer que la valeur universelle que la raison pratique a établie durera autant que l’esprit humain. Lorsque Kant (wikipedia) formule l’impératif catégorique en écrivant qu’il faut toujours considérer l’humanité, en soi-même, comme en autrui, comme une fin et non comme un moyen, il ne s’agit pas là d’une formule appelée à être modifiée par les conquêtes de la science et de la technique mais comme une loi qui doit précisément s’imposer à elles en faisant la part de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Si j’ai cité cette formulation, c’est bien sûr parce qu’elle s’applique parfaitement à certains des problèmes posés par la bioéthique. Une personne humaine ne saurait être perçue comme une matière première destinée à assurer la survie d’une autre personne. Et il n’est pas absurde de parler de personne dès la conception. De même, une personne humaine ne saurait être simplement le porteur d’une autre vie avec laquelle elle n’aurait qu’une relation instrumentale.

 

Au centre d’une conception humaniste de la bioéthique doit se situer la notion de personne, à la fois autonome et solidaire. Autonome elle doit l’être par sa capacité d’être responsable c’est-à-dire libre et consciente. L’insistance de la loi à recourir au consentement est de ce point de vue essentielle. Solidaire, elle doit l’être aussi, tant il est vrai que la personne n’est pas un individu isolé. Cette solidarité est marquée dans la loi par les nouvelles modalités du don du sang placentaire, à la fois consenti comme les autres mais essentiellement altruiste. La personne est en effet pénétrée de part en part par une double altérité, celle de son patrimoine génétique, et celle de son groupe social. Il est nécessaire de rappeler ici que la famille, le couple et ses enfants représentent d’ailleurs d’une façon pertinente la rencontre de l’institution culturelle et de la réalité biologique. Certains souhaitent s’en éloigner. Il n’empêche que l’exception ne doit pas devenir la règle. La cohérence de l’organisation sociale avec la logique du vivant est un facteur de santé publique et de solidité du tissu social. Par exemple, l’information de la parentèle sur les risques génétiques, pour être efficace, doit reposer sur une stabilité et une clarté de la parenté.

  

L’écologie humaine suppose à l’évidence la reconnaissance de la famille comme socle de la personne et la pertinence à faire en sorte que la famille culturelle soit la plus proche possible de la famille biologique. La conception floue de la famille accroît l’insécurité sanitaire des personnes. C’est ainsi que la vérification par le corps médical d’une stabilité de deux ans au sein d’un couple pour accepter un don d’organes fait sortir inutilement le médecin de son rôle, surcharge son activité et laisse la place à des incertitudes sur la valeur et la pérennité juridiques de l’opération réalisée qui pourrait dissimuler un marché… La conception floue de la famille accroît aussi l’insécurité sociale. L’idée de donner les mêmes droits aux pacsés qu’aux mariés en matière de PMA méconnaît le projet parental inscrit dans le mariage, et absent du Pacs (article 213 du Code civil : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».) Le couple uni par un projet de vie solidement établi, offre à l’enfant plus de sécurité et d’équilibre, notamment en ce qui concerne les modèles psychologiques qui lui sont proposés. Il n’y a pas de droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant, un droit d’avoir un père et une mère. Toute mesure qui accroît la tendance inverse est contraire aux droits de l’enfant. Elle favorise la tendance de notre société à devenir une « foule solitaire », ce qui est loin d’être un progrès.

 

A la fois autonome et solidaire, la personne humaine doit refuser toute utilisation sociale de son corps sans son consentement mais elle doit aussi refuser que le don de celui-ci soit un acte mercantile au sein d’un marché. Le don gratuit et anonyme s’il n’est pas obligatoire, peut être encouragé. Il n’est donc pas interdit qu’une certaine pédagogie oriente la personne autonome vers l’affirmation de sa propre dignité d’une part et vers son devoir de solidarité d’autre part. La Norvège a par exemple une politique très incitative des donneurs vivants alors que ce type de dons stagne en France. L’ouverture aux dons croisés est en revanche un véritable progrès.

 

Enfin, il n’y a rien de plus contraire à l’humanisme que la volonté de réaliser un homme parfait, un surhomme, de pratiquer l’eugénisme. La Convention d’Oviedo (1997) le dit avec force dans son article 11 : « toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne à raison de son patrimoine génétique est interdite ». On mesure la valeur d’une civilisation humaine à sa capacité à protéger les plus faibles. Eugénisme et euthanasie, à la rime si riche de sens, sont des processus ou se retrouvent les partisans de l’efficacité sociale à tout prix, et les libertaires les plus irresponsables.

C’est la philosophe Sylviane Agazinski qui disait « la France n’est pas en retard, elle est en avance ». Je pense que nous pourrions être plus en avance en affirmant davantage encore la suprématie des valeurs éthiques.

Source 

Publié dans : Bioéthique
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