Nous avertissons nos lecteurs de la crudité de certains passages de ce billet glané sur Causeur. Mais l'analyse de ce rédacteur déclarant que cela fait bien longtemps qu'il ne s'est pas approché d'un autel mérite d'être publié dans son intégralité.
Jean-Marie Lustiger n’était pas un homme de gauche. C’était, pour sûr, un homme de Dieu. Mais, avant que la mort ne l’oigne de la bonne renommée que tout cadavre reçoit à sa toilette funéraire, le cardinal de Paris était la cible des attaques régulières des « catholiques de progrès ». Oui, il existe des catholiques de progrès comme il existe une Fédération anarchiste : quand on fait dans l’oxymore, on ne craint rien. Lisant en loucedé la revue Golias, son Charlie Hebdo de sacristie qui lui donne l’impression de vider des burettes sans alcool, le catholique de progrès voudrait bien être protestant.
Il voudrait bien, mais il ne le peut point. Rien ne l’en empêche, ne serait-ce parfois son état ecclésiastique, voire, plus rarement, la mitre qui orne sa tête chenue et qu’il prend pour un chapeau rigolo. Le catholique de progrès est un homme moderne. Il n’aime ni les aubes, ni l’encens, ni les dentelles. Il trouve ça fasciste, le latin. La transsubstantiation, le dogme de l’Immaculée Conception, la communion des saints et même la résurrection, qui n’est que l’essentiel – excusez du peu – de la foi chrétienne, il prend ça pour des trucs pas assez télégéniques, des contes à dormir debout, des fumisteries du monde d’avant.
Le catholique de progrès n’aime pas, non plus, le pape. Il n’a pas lu Luther, certes. Mais il trouve que ce type, qui est allemand, mais oui, mais pas un Boche façon Ratzinger, un bon Allemand, avait de bonnes idées. Le problème est que, dès lors que l’on ne reconnaît pas l’autorité de l’évêque de Rome, l’on cesse tout simplement d’être catholique romain. Ce qui, en soi, n’est pas grave quand on ne craint ni le Purgatoire ni l’Enfer.
Pourquoi dis-je ça, moi qui, pour de bonnes raisons, ne me suis pas approché d’un autel depuis très longtemps ? Ah oui, Lustiger – « Tous les archevêques de Paris sont juifs », disait Desproges. L’homme était plutôt à cheval sur les principes. Pas catholique de progrès pour un sou, le feuj enmîtré. Et c’est lui, pourtant, qui avait déclaré, en 1988, au sujet de la capote, qu’elle était « un moyen de ne pas ajouter au mal un autre mal ». Il incitait ainsi ceux qui étaient plutôt open de la culotte à se mettre un bout de latex sur le braquemart quand ils ne pouvaient pas mettre un peu de respect, de raison voire même d’amour sur leurs passions.
C’est là la position invariable – qui a dit, dans la salle, la position du missionnaire ? – de l’Église. Tu ne vas pas refoutre le sida, la syphilis, l’hépatite à des gonzes ou gonzesses que tu ne connais pas, à l’unique motif que tu les prends pour des trous, à l’unique motif que tu les utilises pour ton plaisir personnel, à l’unique motif que tu n’en as rien à foutre d’être plombé ou pas.
Entre deux maux, choisir le moindre. Cela s’appelle la casuistique : c’est une très belle invention du catholicisme. Il n’est pas de jugements implacables, de charia qui condamne inéluctablement le fautif : nous sommes tous pécheurs et la morale s’accommode de nous aussi bien que nous nous arrangeons d’elle. Il n’y pas même, à proprement parler, dans le catholicisme, une morale qui s’imposerait, dans l’extériorité, au sujet. Il y a, avant toute chose, une compréhension des situations : « La Loi est faite pour l’homme, et non l’homme pour la Loi. »
Elle est belle cette Église qui ne veut pas comprendre que plus personne n’en a rien à foutre de rien !
En revanche, là où l’Église rechigne, c’est à considérer, comme le fait notre époque, la relation sexuelle comme une simple consommation du corps de l’autre. « Noli me tangere ! » : l’irréductibilité des consciences a, dans le catholicisme, une dimension charnelle.
On prétend souvent que l’Église a un problème avec le corps. Non : il n’y a pas plus charnel que la foi en l’Incarnation. Musique, encens, arts, stigmates, représentations du divin, extases : le catholicisme est une religion des sens. Et puis, le précédent pape ne s’est pas contenté d’avoir, durant les vingt-six années qu’a duré son pontificat, un fort joli accent des environs de Cracovie. Jean-Paul II a théorisé la conception catholique de la sexualité comme aucun autre pape ne l’avait fait avant lui : pas de consommation, une communion !
Ce que notre temps ne veut plus entendre (et ne peut plus comprendre), c’est que, dans la rencontre avec l’Autre, c’est Dieu toujours que l’on rencontre. Même au fond d’un pieu, même au fond de sa chair. En introduisant dans la sexualité le coin de la transcendance, le catholicisme refuse le sexe pour le sexe et la jouissance pour la jouissance. Notons que cette conception-là ne vaut que pour les catholiques : on ne force personne à l’être. Si vous êtes protestant, orthodoxe, juif, musulman, mormon, témoin de Jéhovah, hindou, animiste, agnostique, athée ou raélien, vous êtes automatiquement exemptés.
Cependant, aussi libérés sexuellement que nous soyons, lorsqu’on se prend à vouloir lire le Kâmasûtra dans toutes les positions, c’est Le Capital au chapitre : « Le capitalisme dans ton cul » que l’on feuillette. Lorsque Eros s’est improvisé pornographe et que le porno s’est mué en gonzo, le sexe n’est plus rien d’autre qu’une part de marché dans le Grand-Tout qui consomme. La relation sexuelle n’est plus la rencontre de deux êtres, mais l’exposition de deux corps par eux-mêmes consommés.
À ce qu’on a lu ces jours-ci dans la presse, ce n’est vraiment pas là le problème. Ça n’aura échappé à personne, mais la vraie question est de savoir si l’Église doit tolérer ou non la capote pour les plans cul. Parce que notre époque, ça ne lui suffit plus de baiser à couilles rabattues, il lui faut un curé, un évêque, un cardinal, un pape, qui vienne par-derrière bénir ses ébats. Plus personne ne va faire ses pâques, mais chacun exige de l’abbé un mot pour aller au bordel.
La capote, donc : le pape a dit, en gros, qu’il valait mieux l’utiliser que de refiler le sida à quelqu’un. Il ne fait que dire tout haut ce que Jean-Marie Lustiger et d’autres disaient, eux aussi, tout haut. Faudrait-il donc que rien ne change pour que tout change ?
On regrettera cependant que le pape ne soit pas allé plus loin. Tenez-vous bien : il n’a pas évoqué un seul instant les lubrifiants à base d’eau ni indiqué que le sachet du préservatif doit être obligatoirement estampillé du sigle « NF ». Pas une phrase sur les différentes qualités de capotes : certaines, plus onéreuses que d’autres, n’entament pourtant en rien les sensations. S’il veut faire agent de prévention à Sida-Info-Service, c’est raté.
Par charité chrétienne, je n’ose même pas évoquer tous les oublis papaux. Il dormait quand la prof de bio a parlé des MST ? Rien sur l’herpès, rien sur les morbaques, comme si ça n’existait pas. C’est une honte ! On attend que le Saint-Père se prononce sur le sujet ; prière d’indiquer ce qu’il faut faire quand ça gratouille plus que ça ne chatouille. Sa Sainteté n’a pas non plus moufté sur le prix excessif que pratiquent certains clubs échangistes. Rien non plus sur le bukkake, la double pénétration, les gang-bang interraciaux. Pas un mot recommandant d’utiliser les gants chirurgicaux pour le fist.
Et puis, dans ses récents propos, Benoît XVI ne stigmatise-t-il pas les barebackers ? Là, c’est vraiment grave. Il faut espérer qu’à la prochaine audience générale, le pape fasse un mea culpa. S’il ne le fait pas, il faudra d’urgence saisir la Halde : la discrimination est établie.
Elle est belle, cette Église, qui ne veut pas comprendre que plus personne n’a rien à foutre de rien et qu’aux choix humains, on préfère le nihilisme d’un temps qui invite à considérer l’autre comme un produit à consommer avant sa date de péremption.